Il reste des mystères et cela fait du bien. Pour certains cependant c’est incompatible avec un statut qui enfle au contact de la notoriété et dépasse en protubérances inattendues, celui qui en est pourvu. Utiliser un outillage d’orfèvre pour œuvrer dans des brumes psychologiques entre connaissance et pédance, entre compréhension et lapidation, semble être le piètre sort de ceux qui reproduisent des complexes non traités. Une forme d’hygiène est ici molestée.
Les réflexions théoriques sont un outillage indispensable qui alimente toute pratique sérieuse, mais elles ne peuvent ni couvrir ni résoudre les niveaux de subtilité et de complexité dont il est question en biodynamie et dans bien d’autres domaines. La chair des choses n’y est pas représentée. Certaines manifestations de l’activité humaine ne savent pas cohabiter avec la manipulation directive et l’explication immédiate. Les mystères nous maintiennent à notre place, peut-être un peu cuisante pour certains, pour ma part procurant un confort inouï par ses effets sur l’humilité. Cette assertion selon laquelle nous pourrions expliquer la biodynamie et que nous ne le faisons pas par approximation ou ignorance ou encore parce que notre sujet est fallacieux, me laisse vaguement perplexe. Combien de domaines sont et furent ainsi concernés par la jeunesse et la dimension embryonnaire de leur développement, par leur imperfection et les dérives commises par certains de leurs adeptes ? Parfois même les intuitions de ceux qui sont à l’origine du mouvement, sont les seuls éléments à conserver pour poursuivre et creuser un sujet imposé par des dérives plus grandes encore. Notre monde n’est-il pas fait de ces erreurs, de sa croissance, de ses croyances ? N’est-il pas stérile de le condamner sans rien donner ? L’idée que la biodynamie aurait été conçue puis maintenue à des fins marketing (l’escroquerie normalement cherche profit) est amusante de là où je me trouve. Car le marketing est à ma connaissance plus prolixe en outillage clinquant et plus économe en investissement humain que la discrétion et le travail, caractéristiques de ceux qui constituent mon entourage professionnel.
La magie, dans l’acception la plus joueuse de ce terme, est bénéfique pour préserver la curiosité et l’enchantement dont nous avons besoin dans toute pratique qui fait appel à l’inspiration. Elle n’est pas un mode opératoire et nous la saisissons pour ces vertus d’émerveillement sans nous laisser endormir aucunement. L’asepsie scientifique et la preuve juridique, ne sont qu’outillages certes indispensables à l’articulation de phénomènes moins poétiques que nécessaires à la communauté humaine, et je plains quiconque vivrait à plein temps selon leurs seuls desseins. Que la biodynamie fasse l’objet d’amalgames divers et variés et suscite des attaques décrédibilisantes m’apparaît comme une agitation très reliée à celui qui la profère. Au point que l’on croirait détecter une rancune personnelle qui prend l’oreille publique en otage. Il est des colères émouvantes, d’autres pathétiques. Quand bien même la colère devrait toujours être respectée, elle détient aussi un petit devoir de respectabilité. L’expertise du naturel à l’œuvre est concrète et observable quotidiennement par des viticulteurs qui traversent les choses. Ils sont témoins, parfois passeurs. Ils vouent leur vie. Un respect élémentaire me paraît de mise. Leur expérience, souvent partagée en toute conscience de sa perfectibilité, est faite d’une chair plus convaincante que tout commentaire agité. Les critiques au sujet de la biodynamie sont à la mode. Elles semblent servir, comme quelques autres chevaux de bataille cycliquement exhumés, à alimenter des postes, pourvus ou à pourvoir, dans le domaine d’un savoir détecteur, dictateur, tapageur et imbu, qui profèrent la vérité. Ils ne suscitent dans le milieu aucune fébrilité. Tout au plus l’inquiétude qu’ils engendrent l’endoctrinement de quelques amateurs de raccourcis, ou peut-être en l’occurrence de verbiage époustouflant.
J’ai un penchant, heureusement très gâté, pour les passions érudites d’une humilité déconcertante, qui n’ont pas quitté leur poste d’observation originel. Critique cela va de soi, mais avant tout curieux. Je sais que cette qualité émerge au contact d’un penchant spontané pour les gens, pour l’humain. Je sais aussi que toute faiblesse du raisonnement dont ils sont, en tant qu’esprits brillants, les témoins, appellent leur bienveillance et le devoir de donner une impulsion vivante et positive à celui qui s’égare. Je sais aussi que ces penseurs là ne se sentent aucunement menacés ou diminués par cette gouvernance du cœur. Cela leur confère une élégance gagnée sur la condescendance ou l’ironie, une tranquillité fondée sur la connaissance sage de la durée qu’il faut aux choses. Ceux qui m’inspirent célèbrent spontanément le fait d’assister au dénouement et cela leur permet de dépasser une agitation qui est le signe de peu de distanciation, un emportement qui fait aveu de sa faible acuité. Ils aiment ce qui est, et qui doit sa présence et sa persistance à une réalité qu’il est instructif d’analyser et non rassurant de démolir. Il me semble que la conviction préserve sa force quand elle est intime. C’est alors qu’elle aboutit à l’action plutôt qu’à la condamnation. Et le savoir soudain se passe aisément de la leçon.
Quand à la responsabilité de prendre la parole face à un auditoire quand on est un individu médiatisé, elle est grande. Et tellement molestée lorsque la maîtrise du sujet en question est, j’en ai peur, très discutable. Car c’est l’ignorance, la redoutable, qui gagne à ce jeu de l’attaque lapidaire, en trouvant à foison dans les arguments clinquants, la nourriture pour un défoulement collectif. Ainsi émergent comme des herbes toxiques les généralités mêlées de poncifs, les sombres inexactitudes, qui s’enorgueillissent de comprendre quand il ne s’agit que d’apaiser temporairement les souffrances de l’ignorance. S’auto-promouvoir ainsi Professeur de vues étriquées et offrir l’accès rapide et sommes toutes assez bon marché, à la « vérité » pourrait être une des définitions de la tristesse.
Je me console en me souvenant qu’une vérité est nécessairement imaginaire, construite pour être démentie et se confronter courageusement au principe de réalité et à l’expérience sensible. Dès lors ce n’est pas une, mais mille d’entre elles qui viennent en pluie comme tombent les pièces de la machine à sous. Donner son avis ne revient pas à le marteler sur le front d’auditeurs étonnés de tant de passion quand il s’agit simplement de goûter. J’imagine le bougon dans un studio peuplé de journalistes et techniciens sans doute un peu gênés par cette Isègoria soudaine et disproportionnée, s’apparentant à une poussée urticante. Je crains qu’il ne s’agisse au fond que d’une passade acariâtre qui évacue ses flux. On ne connaît pas ce qui se cache derrière la réactivité outrancière mais on peut affirmer que lorsque l’emportement n’est pas purement humaniste, il relève d’une problématique trop personnelle pour intéresser des milliers d’auditeurs.
Je crois et croîs en la vie. La biodynamie se porte bien et ses développements sont éloquents. D’historiques grands noms de la viticulture ainsi que de moins renommés, s’engagent chaque année dans l’adhésion auprès du Syndicat de Viticulteurs en biodynamie Biodyvin, dont Mazeyres et Fonroque font partie. Ils ne savent pas le sens du mot piquette si ce n’est qu’il fait partie d’un vocabulaire aigri. De jeunes journalistes et chroniqueurs très grands goûteurs, sont unanimes au sujet de l’avenir de cette approche et y trouvent une réponse en relation avec leur souci d’enterrer un monde nuisible qui sait tout, au profit d’un territoire de conscience lavé des manipulations intellectuelles, des spectacles dénués d’artistes et des disgrâces industrielles.
Alain Moueix au sujet de la lapidation publique de la biodynamie, éructée par Michel Onfray sur les ondes de France Culture en août 2016.