L’arrivée sur les lieux qu’Alain Moueix choisit pour rencontrer l’Art, prend instamment une forme lumineuse et rituelle dans laquelle on décèle l’enfance d’une joie. Quel que soit l’endroit, foire, galerie, exposition ou atelier, tous les outils naturels de la perception sont activés par l’enthousiasme. Carnet, discret appareil photographique, sont eux aussi rechargés pour remplir leur rôle de capteurs d’empreintes, d’activateurs d’une mémoire qui œuvrera dans l’élaboration ultérieure du carnet de bal. Y seront alignées dans une fraîche rigueur formelle et de contenu, les plus belles rencontres vécues vraiment dans ce foisonnement. C’est que le tri est nécessaire. Présences d’affaire et bavardages divers alimentent le ronronnement sonore permanent, et le verbiage, parfois loqueteux malgré son habit d’apparat, côtoie sans ambages la pureté de passions érudites qui ont pour pitance des vies entières de galeristes, de collectionneurs et bien sûr, d’artistes. Il reste que les œuvres présentées dans les découpages cubiques sans âme que sont les foires, ou dans la lumière intime des ateliers, dans le dédale inégal de galeries aux proportions et à l’accueil variés, ou dans les queues de musées, s’expriment, pour certaines seulement, envers et contre n’importe laquelle des formes de la trivialité. Sans doute possèdent-elles ce qu’il faut pour, survolant la mondanité, venir dans l’instant s’écouler dans la vie même du collectionneur. Dans ses pensées au point qu’il reporte sa disponibilité, dans ses murs au point qu’il en érige de nouveaux, dans ses humeurs au point que sa vie en soit chaque fois bougée. Collectionner l’Art reviendrait-il à faire vivre doucement un monde complexe de valeurs en arborescence ? Serait-ce, dans la conscience joueuse d’être seulement maître d’une seule des cérémonies de la vie, non une foire mais une fête, donnée et redonnée sans se lasser, à ses dépends ?