Entamer une conversion vers l’agriculture biologique puis vers la biodynamie a représenté en son temps un bouleversement important. Cette décision n’était à l’époque pas dénuée d’un sens de la transgression, de l’aventure même, et indéfectiblement sous-tendue par l’intuition. Il y avait bien sûr l’évidence que je ne pouvais pas, en tant qu’agriculteur, adopter ou maintenir des modes de culture qui engagent durablement dans une voie exsangue affectée par une énergie mortifère. Plus qu’un fervent adepte de l’idéologie anthroposophe de Rudolf Steiner qui confessait ses limites et ne représentait pour moi qu’un tremplin, très curieux de la tradition idéaliste allemande largement représentée par les travaux de Goethe, j’étais en recherche d’un langage à la fois plus humble et plus riche que le langage exact de l’agronomie, de la science et de l’économie. Je n’étais pas satisfait par le modèle classique qui manquait à mes yeux de hauteur de vue, d’indépendance, de spiritualité. Malgré ma position de gestionnaire d’entreprise viticole et l’évidente responsabilité économique qu’implique cette activité, la notion de rendement me paraissait à certains endroits de la réflexion aussi inappropriée que la notion d’utilité quand il s’agit d’amour.
Fonctionner sur les bases savantes et les pratiques de pur bon sens qu’apporte l’agriculture traditionnelle quand elle a conservé ses moyens d’action, était certes un préalable. Mais je devais intégrer des notions réactualisées. La biodynamie m’a apporté les réponses les plus crédibles. Le vin touche l’humain. C’est un préalable à toute autre considération. Celui qui nous rapproche le plus étroitement du sujet qui n’est autre que contribuer au plaisir gustatif, à la culture du goût, au développement d’une ivresse qui élève. Il me permettait d’alimenter le circuit économique avec un outillage de responsabilité qui préservait son intégrité sur toute la chaîne de l’ouvrage. Je pouvais aller jusqu’à m’intéresser à ce qu’il advenait du vin que nous produisions, à toutes les étapes de son cheminement et jusque dans l’être. La conduite d’une harmonie entre le lieu et son histoire, le terroir et sa spécificité, l’humain et la pleine réalisation de son apport, pouvait prendre sa part d’attention et de réflexion. Notre place d’entrepreneur a forcément une valeur politique et demande une conscience et une transparence qui oxygènent le travail et l’avenir du lieu. Ces réalités nourrissent désormais ma pratique quotidienne et lui assurent une indispensable plasticité. Je travaille au maintien d’un équilibre fragile et menacé dont la part funambule est indéniable. Les saisons sont faites d’écoute et de l’intégration patiente d’éléments de natures diverses qui tous participent à la composition d’un corps complet que je cherche à mettre à l’abri des carences et de déséquilibres trop prononcés. C’est assurément un travail d’équipe. Et un chemin de porosité afin de laisser entrer dans le dispositif tout ce qui, du monde extérieur, peut l’alimenter et révéler son ressort ultime. Soigner ce qui finira sous la peau.