Août 2018 A&A

C’était en 2015. J’étais engagée et je le suis toujours, dans un projet d’écriture. Un roman. Prise dans ce mouvement artistique inspiré par mon histoire, mes voyages, par la peinture qui fait partie de mon quotidien, et plus largement par ce que la vie implique de bouleversements, je n’ai pas vraiment vu venir l’idée. Parallèlement à cela je continuais mon travail musical et cette dimension rythmique distillait sa substance dans les écrits. Il y avait donc nombre d’appuis pour l’écriture mais je ne songeais pas à partager ce qui était vécu. La fiction apporte une distance qui m’est indispensable pour que les personnages émergent et m’imposent leur chair, leur vision du monde et leur histoire. Une écriture trop dirigée par les faits me serait ennuyeuse, sauf à œuvrer dans le mensonge. Cependant j’étais parfois frustrée de devoir laisser de côté des pépites trop réelles pour devenir roman et je n’avais pas d’activité de journaliste qui m’eut permis de relater. C’est alors que l’idée a germé.

J’étais entrain de m’adonner à ce que j’adore dans l’écriture, qui consiste à extraire, à force de réécritures, ce qui m’est le plus fort, en diminuant progressivement le nombre de mots jusqu’à en gorger ceux qui restent du sens de ceux qui ont disparu. Cet exercice de densification extrême aux limites du compréhensible, obtenu en renonçant à une très grande quantité de texte afin de le libérer de tout bavardage, fait émerger quelque chose de bien supérieur à toute directivité. N’importe quel élément qui entre dans l’écrit peut ainsi se transformer au point de devenir méconnaissable, mais c’est toujours pour le meilleur en terme d’entièreté, d’authenticité, de créativité. C’est alors que des bribes de réel ont commencé à se glisser ouvertement dans la vie de mes personnages. En y résistant je mettais de côtés ces petites émergences spontanées jusqu’à la constitution d’une récolte suffisante pour occuper un carnet relié. L’idée avait un corps.

Pendant ce temps se déroulait autour de moi ce qui tient sa beauté et son intérêt à sa chair de réel. C’était le cas des récits d’Alain Moueix au sujet de son métier. Je savais que ceux qui travaillent avec lui depuis des années, comprenaient très bien son approche sans le poids des discours (cf. « les dits de ceux qui font« ) car Alain réussit l’exploit de provoquer un engagement du fond de l’être sans user d’aucun outillage autoritaire, d’aucune fioriture charismatique ni de verve anesthésiante. Sa passion silencieuse contamine. Cependant, mon besoin étant vital de langage verbal, je l’interrogeais. Et prenant en compte cette excroissance de mon tempérament, il me donnait des mots, qui ouvraient des voies. La parole quand elle revient aux oreilles et baigne la conscience dans les vibrations du son, mène immanquablement un peu plus loin à l’intérieur de l’être. Le climat, le concept de nature, les arbres, la biodynamie, la musique, l’idéalisme, le glissement mortifère ultra libéral, la peinture, l’écologie, le concept d’environnement, la place de l’homme dans l’anthropocène, défilaient dans nos espaces de conversation. Les images, les questions et les ambivalences, les ignorances à laver, les savoirs à atteindre ou à réactualiser, surgissaient de derrière les portes à la faveur des changements de saison. Je commençais à avoir le sentiment de recevoir un trésor bien trop grand pour mon seul usage. L’idée existait sans conscience avouée de l’usage qui pouvait en être fait.

Mes quelques recherches sur le web, visant soi disant à me documenter au sujet d’autres démarches dans le domaine viticole, laissaient apparaître un paysage désolant. Il y avait le plus souvent une pauvreté rédactionnelle et iconographique et une sorte de climat de mimétisme, contre-productif s’il s’agit de donner envie. En même temps il y avait une disparité plus qu’une variété, qui ne laissait apparaître ni la singularité, ni l’existence d’une communauté. Le langage impersonnel généralement confié à des agences dont on peut affirmer qu’elles n’ont aucune conscience de son importance, était utilisé de façon très rudimentaire pour une pseudo manipulation de la volonté dont je suis prête à parier qu’elle n’est pas opérante. Quelque chose courait là qui pourrait être perçue comme une maladie du savoir dire qui n’aurait aucune importance, puisque l’essentiel n’est pas de communiquer au sens crucial, mais d’être là parce que tout le monde y est. Certaines velléités se distinguaient à très grand frais par leur imitation de l’art faites d’images sophistiquées très empruntées à des artistes pourtant connus, et des formulations énigmatiques qui embarrassent les poètes. L’idée a grandi presque comme une responsabilité.

Pourquoi pas une parole hybride entre son savoir et mes formulations ? Entre ses pensées et les mots que je pourrais leur prêter ? Pourquoi pas une adresse à quatre mains, ouvertement incarnée par ces deux territoires ? Bien sûr il fallait s’immerger. Prendre le temps d’y comprendre quelque chose car en parler sans savoir aurait été trop rédhibitoire. Ensuite il fallait mesurer. Extraire ses opinions pour les restituer dans un écrin syntaxique et lexical fidèle à son pragmatisme autant qu’à la poésie de sa pensée. Révéler avec subtilité l’humanisme qui pointe ici et là son nez. Ne pas dire de vérités malgré l’ardeur. Préserver la pétillance, la mobilité de ce qui est redéposé chaque jour sur le tableau formé par la vigne et le ciel. Le projet était né.

Nous voulions un support accessible afin de garder la main sans avoir à devenir informaticiens, et placer toute la valeur dans le travail d’Alain et de ses équipes, les images d’artistes, et les mots d’une auteure, sans jamais verser dans ce qui leur emprunte et en fait un usage bon marché. Le résultat certes mouvant est là désormais, entre chaque ligne et derrière les petits onglets. Sous forme d’articles, d’entretiens, d’un petit Cahier trimestriel qui ouvre les coulisses d’un sujet et le transporte un peu plus loin. L’idée existe et son teint est unique car peu d’auteurs s’engagent à écrire pour ce qui reste, quelle que soit la manière, une entreprise commerciale. Le caractère personnel qui anime les choses en l’occurrence, a permis cet enjambement. Nous l’espérons fertile et source de partages intenses avec tous ceux qui nous liront.

Ambre MOUEIX

 

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